« Couvrez ce sein que je ne saurais voir,
par de pareils objets les âmes sont blessées,
et cela fait venir de coupables pensées.» 1
Tartuffe énonce ici son désir masqué par une formule dite de « négation subjective ». Ainsi, il manipule la charmante Dorine, rougissante à ces mots. Le pourpre colore la honte dans la voix, qui nous parle de l’intime. Oser enfin ouvrir la voix à sa dimension de jouissance invite à retrouver une spontanéité.
Pour Freud, la honte – « Scham » – est du côté de l’affect. Son verbe – « Schämen » – se traduit par « avoir honte », « le fait de rougir ». Pour lui, la honte est un état qui touche au déshonneur, à l’infamie ou l’ignominie2. Affect complexe qui se vit face à une situation déstabilisante, elle évoque le dedans dans lequel le dehors vient réveiller une angoisse ou une souillure. Elle transpire dans la voix et se manifeste par divers symptômes fragilisant encore plus le sujet. La voix est l’ensemble de sons produits par le frottement de l’air des poumons sur le larynx (cri, parole, chant). Reflet des émotions, elle traverse le corps par le passage du souffle du nez aux poumons, à sa bouche. Elle est une pulsion qui dévoile un intime que le sujet lui-même n’aurait pas perçu ou identifié.
Concernant le langage, la voix s’articule avec une fonction particulière du cerveau (aire de Broca). Pourtant, elle part d’un premier jaillissement spontané : le cri à la naissance de cette pulsion de vie.
Ce dernier est l’expression de la voix naturelle sur laquelle aucun contrôle n’est exercé. Dans cet acte de jouissance à naître, le bébé est poussé et c’est le cri d’un petit corps-voix qui jaillit dans un espace nouveau et angoissant où ses limites se noient : l’extérieur du ventre de la mère. Poser l’enfant sur la poitrine de la mère rend cette séparation et transition du dedans vers le dehors plus aisée. Un intime est expulsé sans pudeur et porté vers le sein de la mère – qui pour le nourrisson est investi de ce grand Autre rassurant et nourrissant. Au moment de l’expulsion, avec le sentiment de souillure, honte et pudeur s’entremêlent. Souvent confondus, en psychanalyse, ces deux concepts ont une fonction différente puisque la honte est en rapport avec une situation provoquée par un extérieur, et la pudeur avec un état d’être et de se sentir mis à nu.
Souvent le chanteur écoute sa voix et cherche à la contrôler, or la voix naturelle et libérée se vit dans son élan pulsionnel : lâcher-prise vocal qui permet au timbre d’exister dans toute son émotion. L’art du chant sera d’acquérir des connaissances techniques et des ancrages corporels pour unifier ce savoir dans la voix naturelle – accord parfait entre corps physique, émotionnel et fluidité de son expression parlée ou chantée – et retrouver le cri du bébé. L’obtention de cet état naturel est complexe. De nombreux sujets sont en demande « d’oser la voix », pour réparer une blessure (d’enfance, souvent) de honte de se dire ou de chanter ; cette blessure ayant généré des angoisses récurrentes et des comportements de timidité paralysante. Ils évoquent des symptômes physiques : « Je m’étouffe quand je parle ou veux parler plus fort. On ne m’entend pas, je suis transparent ».
Blessures identitaires de rejet, d’abandon, d’humiliation : en étant devenue déloyale à son être, la personne blessée se coupe du désir de vivre et de s’exprimer vraiment. La voix est la signature de l’identité, cette encre du moi qui s’inscrit dans la boucle socio-phonatoire. Si elle est manquante,
muette, le sujet est séparé de lui-même et des autres. Le sujet se réfugiera alors derrière un masque, une attitude pour plaire à cet autre (société, parent, conjoint, enfants) en se construisant dans le mensonge de son être.
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1 Tartuffe, Molière, Acte III, Scène 2
2 Sabine Balcelles – Séminaire de psychanalyse – Freud et la honte – 2013